Mirage d’écrits
Trouville, février 2010.
Pour honorer nos illustres auteurs, tant qu’ils sont vivants on les décore de médailles et de prix au point que certains ressemblent parfois à des généraux soviétiques. À la mémoire des écrivains morts, on a pris l’habitude de consacrer une rue, une avenue, un boulevard : dans le 11e arrondissement, il y a la rue Voltaire, le boulevard Beaumarchais … dans le 5e arrondissement on a le square Michel Foucault, minuscule carré de pelouse au pied de la statue de Dante… Mauriac a plus de chance, il a droit à un quai de Seine ; et puis il y a les auteurs qui jamais n’auront leur nom inscrit blanc sur bleu sur les panneaux émaillés… Il y a des raisons idéologiques et aussi des causes pratiques. À Paris on n’inaugure que rarement de nouvelles rues et on sait surtout combien la décision et le processus de nomination d’une rue est complexe (commission, rapport, vote). À ma demande de changer la rue Bellier-dedouvre, du nom du propriétaire du terrain en celui du psychiatre et philosophe antillais Frantz Fanon (entre la rue Fourier et la rue de la Colinie quoi de mieux ?), le maire du 13e m’avait répondu par la négative m’expliquant qu’un tel changement entraînerait une trop violente « cascade d’écritures » : habitants, commerces et entreprises devant changer brusquement de papiers d’identité, de papiers à en-tête, et d’une multitude d’inscriptions aussi minimes qu’essentielles…
Il faut donc prendre les devants et le faire soi même ; ainsi il est des rues qui changent éphémèrement de noms ; au cours du printemps 68, l’une des rues du quartier latin était devenue la rue du 13 mai : souci d’inscrire le présent révolutionnaire dans la durée. L’hiver dernier, errant dans les rues de Trouville désertes, à la faveur de travaux de réfection, je me retrouve soudain rue Proust au pays de Marguerite. Magie ou hallucination visuelle ? Bonheur de penser que cette inscription existe désormais pour toujours.