Mode d’emploi
Paris, novembre 2016.
Les modes d’emploi sont des documents précieux pour qui veut faire de la sémiotique. Comme Madeleine Akrich nous l’a enseigné il y a déjà de nombreuses années, ils sont l’un des lieux dans lesquels la foule dont sont faits les objets techniques est décrite. En les lisant, en regardant leurs dessins et leurs schémas, on découvre quel genre d’usagers est inscrit dans chaque objet, et quels genres sont au contraire mis de côté. On identifie aussi les compétences que ces usagers sont censés maîtriser, et l’on devine le monde qui va avec l’artefact en question (en particulier les infrastructures dont il a besoin pour fonctionner correctement). Mais, c’est ce qui fait leur intérêt, il n’existe rarement qu’un seul mode d’emploi pour un même objet. En fonction de la situation d’usage, on peut en trouver de très différents, certains bien connus, d’autres plus ou moins secrets. Et bien entendu, certaines instructions prennent la forme de conseils à l’oral, voire de simples gestes.
À chaque fois que l’on a la chance de tomber sur un mode d’emploi dont on ignorait l’existence, on peut découvrir une version insoupçonnée d’un objet, aussi ordinaire soit il. Par exemple, si vous n’avez pas été formé pour devenir un espion durant la seconde guerre mondiale, vous ne savez pas « comment utiliser un couteau » aux sens détaillés dans le chapitre de ce livre. Mais maintenant, vous savez. Et chaque couteau qui se trouvera entre vos mains sera sensiblement différent de tous ceux qui l’ont été précédemment. C’est la beauté de l’exploration des manuels alternatifs : elle nous invite à prendre en considération la multiplicité de chaque artefact. Elle ouvre grand le monde.