Multiplication
Paris, septembre 2021.
On imagine aisément l’enthousiasme des promoteurs venus présenter les avantages de ces nouveaux supports de publicité. Des écrans aux belles couleurs, directement intégrés à la paroi du kiosque à journaux. Une surface lisse, nette. La possibilité d’y intégrer un accès pour les personnes à mobilité réduite. Surtout, une flexibilité maximale qui permet d’afficher plusieurs campagnes successives sans les ennuis mécaniques des grands panneaux à rouleaux d’antan qui finissaient par se coincer entre deux affiches (un cauchemar à entretenir, un gouffre financier). Avec cette solution, une simple programmation à distance permet d’envoyer simultanément les « visuels » partout dans la ville. Multi-affichage instantané, le summum de la modernité technologique.
Sans doute, la ville qu’ils avaient en tête était-elle un peu trop abstraite. Probablement l’espace public même, qu’ils projetaient dans leurs promesses de communication fluide était-il trop apaisé, vide de voix dissidentes. Avaient-ils les moyens de se rendre compte qu’en concevant ces écrans si efficaces, ils inventaient dans le même temps la machine à démultiplier les insurrections graphiques ? Qu’ils donnaient les moyens à toutes celles et ceux en mesure de se procurer un marqueur indélébile à la pointe suffisamment large d’inscrire en un seul geste leur mécontentement à la surface de plusieurs affiches ? Et qu’ils offraient ainsi l’occasion aux passantes et aux passants d’apprécier la puissance d’un unique « NON ! » adressé successivement à l’invitation à la prochaine fête du vélo et à l’incitation à se faire vacciner, avant de s’étendre aux campagnes diffusées à la prochaine mise à jour, si facile à effectuer à distance ?