Ni enlever, ni effacer
Toulouse, août 2018.
La première inscription date des années 1980. Petite et inscrite en noir à la bombe, elle est restée seule pendant plusieurs mois, trônant tel un trophée conquis à la barbe des propriétaires. Puis d’autres sont progressivement apparues à ses côtés, occupant toujours un peu plus d’espace de cette façade. Jusqu’au jour de leur enlèvement par le service de nettoyage de la ville. La peinture avait alors retrouvé la fraicheur de son beige uniforme. Peu de temps après une nouvelle inscription était apparue à son tour, d’un rouge vif qui attirait l’œil immédiatement. Simultanément, l’emplacement était trop visible : les inscriptions multicolores se sont à nouveau accumulées. Une autre intervention du service de nettoyage était requise. Elle ne faisait cependant qu’inaugurer le long cycle d’inscriptions et d’effacements dédiés à cette portion de façade. Au fil des interventions des uns et des autres, la couleur beige du mur avait commencé à perdre en épaisseur, puis à se creuser. D’une itération à l’autre, la couche brute de crépi gris était devenue visible, sans pour autant faire totalement disparaître certains pigments (noir, bleu, vert, pourpre…) des inscriptions précédentes. L’uniformité du beige initialement visible avait ainsi laissé place à une palette de plus en plus variée. Les couleurs et matières offertes à la vue provenaient aussi bien des instruments d’inscription que des matériaux composant la façade et des techniques de retrait. Qu’ils soient appréhendés comme des pollutions visuelles, des déchets à enlever, ou des inscriptions indésirables, des écritures à effacer, les graffitis persistent au cœur de la danse incessante des apparitions et disparitions. Dernière apparition en date, la brique rouge du mur était désormais à nue sous le crépi, laissant bientôt pénétrer les inscriptions jusqu’à cette couche architecturale. Contre toute attente, l’inscription des années 1980 avait-elle initiée un lent processus d’ouverture d’une brèche dans l’écologie matérielle du bâtiment – au point que l’idée d’une fenêtre à cet emplacement naîtrait peut-être un jour…