Oui – Non
Par notre invitée, Catherine Guesde.
Maisons-Laffitte, juillet 2021.
Jusqu’à présent, ils ne me demandaient rien. On interagissait de manière anonyme, je ne savais même pas qu’ils étaient conscients de ma présence. Mais récemment, sans que je sache bien pourquoi, ils se sont mis à faire attention à moi. Ils ont commencé à me parler de ma vie, et même – chose que tout le monde ne fait pas – à s’assurer de mon consentement. Un vrai modèle de vertu. Ils le faisaient de manière très affable, presque cérémonieuse : ils respectent ma vie privée, disent-ils, et ce n’est pas tous les jours qu’on a droit au respect. Et puis, toujours avec la même courtoisie, ils me demandaient mon avis, et qui n’est pas flatté qu’on lui demande son avis ? Certes, il était parfois question de tous petits services : accepteriez-vous ces quelques cookies de rien du tout ? Presque rien, à peine de quoi savoir où vous vivez, tracer vos « habitudes d’usage », cibler vos goûts en utilisant « les technologies mises à disposition par certains acteurs publicitaires »… Peu de choses en somme, et le tout pour mieux me servir, cela va de soi. Bien sûr, je répondais sur le même ton révérencieux, comme on répond au RSVP d’une invitation dans le beau monde : en lettres italiques, police Garamond sur papier Velin 300g. Je disais oui, qu’ils pouvaient prendre ce qu’ils voulaient (tant qu’ils me laissaient mon chat) car ils étaient si polis ! Mais hier j’ai découvert une nouvelle voie. Il faut dire qu’ils étaient un peu nombreux à avoir demandé mon consentement. Il se peut que j’aie été à court de « oui ». Alors j’ai osé. Une par une, j’ai coché les cases « refuser ». Autour de moi, des murs protecteurs se sont dressés, les fils barbelés se sont multipliés, et j’ai découvert la puissance libératrice du non. Aussi, lorsque les livres de développement personnel vous conseillent de dire Oui à la vie ! ou vous vantent Le pouvoir du oui, n’en croyez pas un mot. Plus libératrice, pétillante, fourmillante de possibles est la magie du non.