Plus ou moins
Sur la route. 2009.
Lorsque l’on parle d’écrit aujourd’hui, on entend souvent information. Le monde numérique n’y est pas pour rien, et ses incroyables promesses de renouvellement. François Bon le sait bien, Roger Chartier aussi : les réseaux électroniques ont ouvert l’espace des possibles de la lecture et de l’écriture. Les pratiques ordinaires, les agencements sociotechniques, la valeur économique, tout semble vouloir se transformer par ce mouvement. Dans les villes aussi, on commence à sentir quelques secousses. De nouvelles manières d’écrire l’urbanité, de fabriquer les lieux publics avec des mots et des signes. C’est souvent de cela qu’il est question dans les expériences qualifiées de ‘réalité augmentée’ : on ajoute une couche à la vision (souvent l’écran d’un téléphone équipé d’une caméra) et les rues, les bâtiments, les emplacements se voient dotés d’étiquettes dynamiques qui nous informent autant qu’elles les performent. Un territoire apparaît à nos yeux.
Mais on voit bien que nous n’en sommes qu’au début. Que l’idée même d’augmentation, si elle est séduisante, est trop asymétrique. L’écrit ne se réduit jamais à des informations que l’on ajouterait à quelque chose qui serait déjà là, à la fois avant lui et toujours au-dessus de lui. L’écrit est toujours, et dans le même temps, un geste et un objet. Et si pour nous, conducteurs, ce mot ‘feux’ inscrit sur le trottoir ne fait pas les feux tricolores, il suffit à engager, du côté de ceux dont c’est le travail, toutes les opérations nécessaires à l’installation quelques jours plus tard les dits feux.
On peut même rêver, pourquoi pas, à un futur où ces mot- là, quelques uns en tout cas, seraient devenus si forts qu’ils agiraient sur nous. Un jour où les écrits ne seraient plus toujours des informations et où ils permettent à la réalité de diminuer, ne serait-ce qu’un peu.
À vrai dire, je suis sûr que vous savez bien que ce jour est déjà là.