Plutôt
Par notre invité Léo Magnin
Le Pilat (Loire), juin 2021.
Lettres capitales, caractères gras, fond rouge, idéogramme barré, négation impérative : tout y est. L’interdiction graphique à l’état pur s’affiche plusieurs fois autour du pré – la répétition est un rouage de l’autorité.
Et pourtant… À mesure que le passant s’approche, il discerne des minuscules sous les majuscules. La typographie n’affirme plus, elle suggère. C’est le conseil après la règle, un changement de ton qu’autorisent les parenthèses. Le « NE PAS DONNER DE PAIN AUX ÂNES » est adouci par un « (Allez plutôt payer un canon à la famille Cuilleron) ». L’infinitif, forcément impersonnel, s’est défait de sa solennité. L’inscription s’adresse ensuite à un « vous » immédiatement amical, puisqu’il est question d’un moment convivial (l’apéritif) sous un terme familier (un « canon »).
Imagine-t-on la généralisation de l’enchaînement de l’interdiction formelle et de l’invitation informelle ? Quel monde cela donnerait-il ? Au hasard : « NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE (Faites-en plutôt un machin décoratif pour votre salon) ». Ou encore : « NE PAS FUMER (Dépensez plutôt votre pognon pour faire plaisir à vos amis) ». Il y a un soft power adverbial sous-estimé : le plutôt est ici l’agent d’un nudge à la sympathie bourrue.
À moins que les Cuilleron ne soient pas les propriétaires des animaux, mais des voisins un peu bourriques et portés sur la bouteille : si le passant veut à tout prix donner à des ânes un produit qui nuit à leur santé, qu’il en fasse plutôt profiter le voisinage bipède ! J’irai payer un canon aux Cuilleron pour en avoir le cœur net, ça ne mange pas de pain.