Prise de la Bastille
L’invité du vendredi : François Huguet
Paris, 27 mai 2011.
Ne pas avoir entendu parler du « mouvement des indignés » serait chose surprenante, certains médias occidentaux rêvant d’une actualité braquée sur un supposé printemps « européen » né à Madrid après un printemps arabe ayant vu le jour à Sidi Bouzid (après une gifle d’ailleurs?. Seulement cette supposée révolution européenne portant un nom moins fleuri que celle de Tunisie (¡Democracia Real YA!) met en place d’étranges dispositifs de communication. À Paris, le rendez vous des indignés est donné sur les marches de l’opéra Bastille tous les jours à 19h (http://reelledemocratie.fr). Ce vendredi, l’assemblée générale est retransmise en direct dans les autres villes européennes « indignées ». Epeler l’URL du lien vidéo streaming dans un micro semble affaire compliquée, on saisit alors du papier pour écrire l’adresse URL et faire circuler des feuilles A4 blanches dans l’assemblée pour que chacun puisse lire et transmettre le lien du streaming sur différents réseaux sociaux. Je saisis une feuille à son passage pour twitter le lien qui est dessus et le reflet de mon écran de téléphone m’indique ce qui est en train de se dérouler: cette feuille est un miroir dans lequel se regardent les acteurs de cette assemblée. Nous sommes l’événement et l’événement c’est nous. Néanmoins, le geste démocratique de se rassembler et de prendre une place pour débattre d’un modèle de société plus juste est-il vraiment « visible » ? Les modalités de la démocratie directe qu’il met en œuvre au quotidien ), dont Gérôme Truc parlait la semaine dernière, peuvent-elles apparaitre via un streaming ?
Ces deux lignes écrites qui circulent sur les marches de l’opéra ne disent pas grand chose, elles signalent simplement qu’il y a du monde sur des marches à Bastille et que ces personnes savent qu’elles sont vues par d’autres personnes sur un écran. Gil Scott Heron, qui est décédé le jour où cette photo a été prise, disait : « The revolution will not be televised » (chanterait-il aujourd’hui « will not be tweeted, facebooked, streamed » ?). Cet événement et ces dispositifs de communication sont-ils en mesure de faire comprendre ce que déclarait Frantz Fanon dans Les damnés de la terre?
« Politiser les masses, ce n’est pas, ce ne peut pas être faire un discours politique. C’est s’acharner avec rage à faire comprendre aux masses que tout dépend d’elles, que si nous stagnons c’est de leur faute et que si nous avançons c’est aussi de leur faute, qu’il n’y a pas de démiurge, qu’il n’y a pas d’homme illustre responsable de tout, mais que le démiurge c’est le peuple et que les mains magiciennes ne sont en définitive que celles du peuple. »
Essayons de ne pas en douter…
Références
Gil Scott Heron, Small Talk at 125th and Lenox, Flying Dutchman Productions, NYC, 1970.
Frantz Fanon, Les damnés de la terre, éditions François Maspero, Paris, 1961.