ISSN : 2266-6060

Quarante

quarante

Capbreton, mars 2013.

L’identification des véhicules est une chose complexe, qui a évolué de nombreuses fois depuis ses prémisses au XVIIIe siècle. Le changement le plus récent a pris la forme d’une révision de l’article R322-2 du code de la route, en date du 15 avril 2009. Il a vu la naissance d’un nouveau système d’immatriculation, qui a eu pour effet principal de centraliser en un registre national ce qui relevait autrefois des départements, et d’attacher une fois pour toute le numéro au véhicule, y compris au fil de ses ventes et reventes. Dans cette transformation, l’agencement scriptural de la plaque d’immatriculation a lui-même changé : ses couleurs et son texte, désormais composé d’une succession de caractères sur le modèle lettres – chiffres – lettres.
Lors des préparatifs de cette modification réglementaire, certains se sont lamentés de la disparition programmée de l’association de la plaque et du département ; association anodine et pourtant cruciale : comment allait-on faire pour apprendre aux enfants la géographie française et ses découpages administratifs ? Quels jeux allait-il falloir inventer lors des longs trajets autoroutiers sans ce merveilleux support aux usages multiples ? Comment allions-nous repérer les automobilistes potentiellement dangereux et dangereuses dans le flux des rues qui, à nous, sont familières ? Et surtout, comment allions-nous les insulter, sans aucun indice sur leur lieu d’habitation ? Ces nombreuses inquiétudes ont fini par être entendues, et le numéro du département a finalement eu le droit de cité sur la nouvelle plaque. Sauf que.
L’arrêté du 9 février 2009 qui fixe les caractéristiques et le mode de pose des dites plaques installe dans le lien entre un véhicule et l’origine géographique de son propriétaire un jeu qui, lui aussi, change tout. On peut en effet y lire, à propos du numéro de département : « Le choix de cet identifiant territorial est libre et peut ne pas avoir de lien avec le domicile du titulaire du certificat d’immatriculation. » Le nouveau règlement installe ainsi deux degrés d’identification dans le même objet, chacun relevant d’attachements distincts. Tandis que le premier, l’identification du véhicule, s’est rigidifié en devenant une sorte de deuxième de numéro de série, le second est devenu plus lâche, susceptible de témoigner de liens d’autres natures. De ton côté, découvrant cette porte ouverte aux brouillages de piste, tu avais tout de suite su le numéro que tu aurais aimé voir figurer sur ta plaque d’immatriculation le jour où il aurait fallu en changer. Deux chiffres qui auraient plusieurs vertus : porter à ton esprit, au gré d’un coup d’œil, quelques effluves de pins et quelques belles vagues ; pacifier tes relations avec les autochtones lors des rares vacances que tu passerais là-bas ; te rappeler à la promesse que tu t’es donné en arrivant dans la région parisienne : non pas retourner finalement d’où tu venais, mais partir passer quelques vieux jours en ce beau pays.
Des années plus tard, une série d’évènements ont simplifié les choses et le vœu fut exhaussé presque par hasard. Un déménagement (toujours en région parisienne, malheureusement), l’obligation découverte à la limite du délai légal, d’obtenir un nouveau certificat d’immatriculation (qui serait, assurément, à la nouvelle norme), une demande par correspondance qui traîne, la réception de la carte grise toute neuve la veille de ton départ. Sur place, le garagiste a dû trouvé étrange de voir arriver ce type qui venait faire changer sa vieille plaque 92 avec un sourire jusqu’aux oreilles. Il n’a jeté qu’un coup d’œil au certificat, ne recopiant que le code identifiant désormais ta voiture. Il n’a pas posé de questions, n’a pas regardé ton adresse. Une semaine plus tard, tu remontais sur Paris heureux comme un gamin avec de belles plaques 40.



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