Qui va-là ?
Tout commence comme dans un conte : toc-toc-toc, « — Qui va là ? ». Mais, devant cette porte de bois qui pourrait être celle de la mère-grand des Contes de la mère l’Oye, nul besoin de s’annoncer (« — C’est le Petit Chaperon rouge »), pour obtenir le sésame (« — Tire la chevillette, la bobinette cherra »). La porte se passe du nom pour sonder la réalité de la présence physique ; les grands-mères du XXIe siècle ont installé des boîtiers pour authentifier à distance la prétendue fillette manifestant le désir d’entrer. Elles distinguent les petites filles des grands méchants loups grâce à des traces personnalisées, les empreintes, ces signes que le plissement des couches cellulaires a sculptés sur nos doigts dès la 24e semaine de la vie de fœtus.
Animaux et humains déchiffrent les empreintes comme des signes de l’identité depuis des centaines de milliers d’années, mais la vertu distinctive de l’empreinte ne devient un savoir d’État qu’à partir de la fin du XIXe siècle, à mesure que croît le besoin de surveillance des populations et que la méthode dactyloscopique a étoffé le bertillonnage. L’enregistrement des empreintes, requalifiées en « données à caractère sensible » par le RGPD, est désormais monnaie courante. D’une autre teneur que les profils sur les réseaux sociaux ou les données comportementales sur le web, les empreintes font partie de nos identités numériques dispersées dans une variété de bases de données : celles de nos téléphones intelligents, de nos employeurs, mais aussi dans les fichiers étatiques, dont le ficher de traitement d’antécédents judiciaires et fichier des titres électroniques sécurisés.
L’installation de tels lecteurs, ici visibles depuis l’espace public, mais le plus souvent masqués par la commodité d’un agencement technologique, suppose pour le passé et le futur l’existence d’une base de données dans laquelle sont enregistrés les gabarits biométriques des personnes autorisées ; l’image des pouces, d’un pouce et d’un index voire de deux index chiffrée en quelques centaines de points de repère. Elle suppose aussi, qu’ici et maintenant, fillettes et loups se soumettent au geste d’inscription contraignant qui perpétue l’actualité de l’accès. C’est alors que la structure morale du conte peut bifurquer et ouvrir la voie à d’autres récits, pourquoi pas plus aventureux.