Recoin
Paris, mars 2017.
La ville se donnait comme un espace à lire, où chaque entité avait une place attribuée, où la fluidité des circulations était garantie. On pouvait y voir explicitement la traduction contemporaine des principes d’une architecture portant aux nues le neuf, soulignant la photogénie de bâtiments vides et ordonnés, privilégiant les matériaux pour leur effet de transparence, leur réflexion lumineuse, ou leur production de surfaces sans aucune aspérité. La prolifération des écrans électroniques s’offrait au regard comme le prolongement de tels principes jusque dans la consistance épurée des écritures urbaines. Puis soudain, au détour d’une rue, cette brèche dans l’ambiance post-hygiéniste qui se dégageait de la ville, entièrement obnubilée par le net. Un décalage infime du regard suffisait pour répondre à cet appel et laisser surgir un monde d’inscriptions moins alignées, décalées, voire franchement désordonnées. Empilés ici des affiches de campagnes politiques, de programmes d’événements culturels, des informations municipales et des graffitis qui creusaient une réalité urbaine bien différente. Loin d’une surface lisse unique sur laquelle on pourrait glisser aisément, la ville écrite devenait un composite fait de différentes couches prenant l’allure d’un mille-feuilles. Chacune pointait vers des événements, des préoccupations, des acteurs, mais également des règles de composition graphique et leurs différents métiers toujours spécifiques. Cet assemblage déployait la richesse urbaine, ses variétés comme ses irrégularités, sans chercher à les dissimuler, ni à les contraindre. Il sonnait aussi comme un rappel de l’histoire progressivement accumulée dans ce recoin, sorte d’îlot de résistance scripturale encore bien vivace qui hantait durablement la ville.