ISSN : 2266-6060

Rescapée

Paris, novembre 2018.

Me voilà seule, abandonnée et orpheline. Accrochée depuis des mois à cette borne d’amarrage sur laquelle j’ai échouée, je cherche inlassablement à capter le regard des passants. Afin de digérer les échecs successifs de cette quête de rencontre, je me remémore ce temps, pas si lointain, où je sillonnais la ville avec mon cavalier attitré. D’un arrondissement à l’autre, les rues s’enchainaient dans leur grande variété : larges ou étroites, avec un revêtement plus ou moins agréable, équipées d’une voie dédiée… J’arpentais ainsi les moindres recoins de la ville Lumière. Je me souviens également la joie de le voir revenir après chaque stationnement qui, quelle que soit sa durée, semblait toujours une éternité. Mais elle n’était rien comparée à tous ces petits moments d’attention destinés à me nettoyer ou à me parer d’un nouvel équipement. C’est ce qui me manque finalement le plus, au point qu’après des mois enchainée ici, et à défaut d’une belle rencontre, je me surprends à rêver d’intégrer un des systèmes de partage qui ont fleuri dans tout Paris. Ce serait l’occasion de retrouver ce plaisir de la circulation, associée à ces moments où l’on prendrait à nouveau soin de moi. À défaut, je suis fixée ici. Mais à bien y réfléchir, je ne suis pas si seule et isolée : flanquée de cette pancarte, je fais partie d’un vaste réseau de réparation de bicyclettes, proposant des interventions sur place où qu’elles se trouvent. Bien qu’on se souci peu de moi, mises à part les quelques visites de vérification de ma présence et de celle de l’inscription me conférant une capacité d’interpellation, j’occupe une position particulière : porte-parole d’un service de soin destinés aux nombreux cycles en détresse qui ne font pas partie d’un système de partage. Il y a finalement pire…



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