Rouler
Notre invitée : Marie Alauzen.
Détroit, septembre 2017.
On nous avait beaucoup découragés de prendre le bus aux États-Unis. Comme si, au nom d’une certaine norme urbaine ségrégationniste, il ne fallait pas se rencontrer. On s’aperçoit en montant, qu’en effet, nous serons les deux seuls blancs du trajet. Pourtant une fois entrés dans cette enclave circulant à travers la ville, chauffeur et passagers semblent ne pas nous en tenir rigueur. Assis, on parcourt les publicités et messages d’information à destination des voyageurs : programme d’incitation à l’allaitement, offre de remise à niveau scolaire ou de rachat de prêt immobilier ; autant d’éléments précieux pour déplier la configuration des passagers de la ligne 25 par le Detroit Department of Transportation (prononcez « D-Dot »).
Une inscription au marqueur située derrière le siège du chauffeur attire rapidement notre attention. Depuis les années 1990, il est interdit de fumer dans les lieux publics et les autorités sont très strictes sur l’application des lois antitabac qui trouvent des relais humains et graphiques partout en ville. Dans ce bus, quelqu’un a jugé utile d’expliciter la règle locale : avant même de songer à fumer il est défendu de rouler. Et plus spécifiquement des fibres de chanvre. Est-ce le chauffeur qui profite de l’ambiguïté d’un message manuscrit pour fixer une règle propre à l’autobus dont il a la charge ? Un passager zélé ou irrité qui délègue ainsi l’encadrement du comportement de ses voisins ? À moins qu’il ne s’agisse d’un plaisantin qui brouille les frontières de l’ordre. Il faudrait rester sur place pour savoir ce que produit cet écrit sur le bus. Reste que pour ce trajet et nos deux touristes, comme pour le signalement de l’odeur de l’art, il qualifie et rend plus présente l’odeur de chaussettes mouillées en fond.