ISSN : 2266-6060

Sémiodiversité

Toulon, mars 2023

En ville, certains lieux ont une atmosphère particulière qu’il est difficile de cerner. Une sorte de microclimat urbain dont on ne sait pas très bien ce qui le compose. Pour le saisir, il faut se prêter à l’enquête, ralentir sensiblement le rythme de la marche, lever les yeux, tourner la tête. On peut alors tomber sur une piste : parmi les ingrédients de ce milieu à part, les enseignes semblent jouer un rôle important. Mais ce n’est pas leur beauté à proprement parler qui importe ici, même si certaines ont des qualités esthétiques indéniables. C’est plutôt parce qu’elles rappellent qu’un autre monde est possible, un monde qui échappe à la cohérence forcée, à la hiérarchie des formes, à l’éradication des idiosyncrasies. Élodie Boyer l’a magnifiquement documenté dans les Lettres du Havre : les villes ont vu les typographies s’uniformiser, s’appauvrir, tandis qu’elles embrassaient avec la complicité des marques en tout genre un devenir-aéroport qui a fini par façonner le goût de leurs habitant.es pour le net, le propre, le droit, le transparent, et surtout le même.
Voilà sans doute la plus grande valeur de ces enseignes, et la véritable leçon des atmosphères sémiotiques que l’on trouve bien souvent datées, et dont on comprend qu’elles sont surtout menacées. Elles sont faites de prolifération, d’indépendance, de contingence, d’une vie graphique qui n’est pas tant faite de débordements ou de différences, termes bien trop guidés par le présupposé d’un ordre premier dont elle s’écarterait, mais d’une multiplicité primaire. Une diversité qui n’est certes pas si vitale que celle de la faune et de la flore, mais que l’on pourrait aussi chercher à préserver, voire à cultiver.



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