ISSN : 2266-6060

Servez-vous


Paris, décembre 2017.

Tu passes devant cette porte vitrée tous les jours depuis plusieurs années. La plaque en laiton dorée indique un nom japonais, que tu as déjà recopié sur ton portable pour faire une requête. C’était l’époque où tu cherchais des cours de yoga, tes essais avaient été peu fructueux. Tu distinguais des tapis à l’intérieur et croisais des gens tôt le matin. Ils ne ressemblaient pas aux apprentis yogis nouvellement vegan et que tu avais fréquentés. Ça te plaisait, tu voulais essayer, mais n’avais rien trouvé sur internet. L’idée t’était sortie de la tête, jusqu’à ce que ce tabouret soit installé de l’autre côté de la porte vitrée.
Le panneau « servez-vous » a attiré ton attention et ravivé ta curiosité. Tu t’avances pour te renseigner sur les horaires, jusqu’à ce que le dispositif t’interpelle : il faut passer la porte pour prendre un prospectus, l’information est visible à l’extérieur, mais pas vraiment en libre-service. Pourquoi ne pas avoir mis les prospectus directement sur le trottoir ? Pourquoi ne pas indiquer le propos, yoga ou autre, plus clairement depuis la rue ? Et surtout pourquoi la formule, « nous serons heureux de vous renseigner », qui t’avait initialement parue sympathique te semble maintenant dérangeante ? Tant pis, tu colles au script en gras, prends un feuillet et tourne les talons.
L’étrangeté de la signalisation cède la place à l’incompréhension de la lecture. Tu recopies quelques-uns des mots-clés sur les séances de transmission d’énergie sur internet. Pas de site mais on y est : il s’agit du siège d’une secte bouddhique, citée dans un rapport parlementaire de 1996, comme un « mouvement sectaire de 50 à 500 adeptes ». Bon, vus les critères définis par les renseignements généraux pour qualifier de « secte » un quelconque collectif (dont « discours plus ou moins anti-social, troubles à l’ordre public et importance des démêlés judiciaires ») et le flou du « faisceau d’indices » retenu par la commission parlementaire, tu n’accordes pas trop de sens au rapport. Par contre, tu remercies Scriptopolis de maintenir ta vigilance sur la singularité des inscriptions urbaines et de leur mise en scène.



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