S’exprimer
Issy-Les-Moulineaux, mars 2018.
Une plaque de métal encadrée et soutenue par des pieds rivés au sol, l’ensemble surplombé par une inscription, et le tour est joué. La surface lisse et verticale est proposée au regard. Mobilier urbain faisant partie de l’environnement, elle est un site d’accueil pour des écrits variés, au contenu énonciatif a priori soumis à aucune contrainte. Les optimistes trouvent l’initiative importante. Focalisées sur l’existence de ce panneau, elles font de sa présence même un élément constitutif et indispensable de l’espace public. Pour leur part, les sceptiques ne sont pas convaincues de l’efficacité de cette technologie, trop froide à leur goût, et imaginent volontiers des manières de l’améliorer : réflexion sur un emplacement plus attractif, organisation de discussions hebdomadaires autour du panneau… Les pessimistes, quant à elles, soulignent l’absence de toutes formes d’inscriptions, qu’elles considèrent comme un signe criant de la crise actuelle de la démocratie. Comme à leur habitude, les plus critiques n’y vont pas par quatre chemins : qu’il soit vide ou rempli d’écrits, le panneau n’est rien d’autre qu’un pâle substitut de la liberté d’expression, un simulacre idéologique dont il faut combattre l’existence au nom de la “vraie prise de parole publique”. Face au panneau, les libertaires esquissent un sourire désinvolte. Ne l’ayant pas attendus, il y a bien longtemps qu’elles ont investi d’autres sites d’écriture (murs, banderoles, sites web… ) pour exprimer leurs idées dans diverses arènes. Les plus poétiques considèrent que la simple présence du panneau offre un paysage en soi qui mérite une pleine contemplation. Les matérialistes sont interloquées par l’aveuglement de toutes les autres : comment ne voient-elles pas l’évidence ? La rouille comme forme d’expression d’êtres qui, sur ce panneau comme ailleurs, laissent des traces de leur passage et manifestent ainsi leur participation active à la composition sociopolitique du monde.