soustraction
Marseille, octobre 2018.
A peine arrivés au monde, nous sommes saturés d’inscriptions : les prénoms et noms qui nous sont donnés, sanctuarisés dans des actes d’état civil, notre taille et notre poids mesurés alors que nous respirons à peine, les prélèvements et tests divers auxquels d’autres consentent à notre place. Et pourtant notre expérience corporelle primaire, le toucher, le boire, la chaleur et le froid semble demeurer brute, échappant au réseau des inscriptions.
Nos parents, si imprégnés d’un monde de signes univoques et de nombres objectivants, se sentent obligés d’introduire de la quantification pour faire face à leurs inquiétudes ordinaires. « Boivent-elles bien ? » appelle moins une analyse perceptuelle de la succion et des expressions faciales qui l’accompagnent, que des durées, des intervalles ou des volumes.
Alors faute de sonde high-tech transformant nos estomacs en laboratoires de la self-quantification, ils bricolent : savoir combien d’eau et de poudre de lait a été proposé est une chose simple, mesurer combien a été réellement consommé – nonobstant les débordements et régurgitations, en est une autre.
Heureusement pour eux, ce petit biberon rescapé de la maternité et ses graduations si serrées fait office d’abaque. Le lait non consommé se transforme alors en reste quantifié et, même au milieu de la nuit, épuisés, une simple soustraction leur permet d’être rassurés.