Tentation
Paris, avril 2011.
Le printemps rend gourmand : il y a les petits légumes et les premiers fruits, mais il y a aussi les oeufs que pondent les chocolatiers, noirs, blancs, pralinés ; bien sûr, mon magasine d’homme moderne m’aura mis en garde contre les risques d’abus et le bourrelet qui cet été en résultera. C’est le moment où les magazines font leur gros titre en une sur le régime minceur. Alors je ferai attention mais quand la bonne amie viendra avec une boite de chocolat formée des lettres de mes chers enfants, comment résister à cette tentation ? Bouffer de l’écrit jusqu’à en avoir une crise de foie ! L’un de mes grands plaisirs d’enfant était non de manger mon gateau d’anniversaire mais le petit écrit que le patissier avait confectionné pour l’occasion avec soigneusement écrit mon nom. Manger son nom, quel plaisir narcissique inégalable !
Plus largement, comme l’a bien analysé un de nos collègues espagnols, le discours sur l’écrit est souvent articulé sur un discours du manger. L’écrit est appétissant, on a envie de le manger, on dévore des livres, etc. Extraordinaire association que celle-ci tant elle met en évidence la place de la culture graphique dans l’ordinaire de la vie au sein de nos sociétés. On digère mal un livre, mais l’on se régale en lisant au toilette ; H. Miller en avait fait l’objet d’un petit ouvrage qui en disait long sur nos constipations de lecteurs. Tout ne se passe pas pourtant au niveau de l’anus, et le plaisir des papilles n’est pas à oublier. Il y a des livres qui ne passent pas, qu’il faut macher. Il y a ceux qui glissent comme des huitres. Il y a des récits poivrés, épicés, fades ou encore relevés. L’écrivain est un chef qui comme lui n’écrit pas ses recettes…