The ghost writer
Paris, septembre 2010.
Il est là, au bas de chez moi, assis sur un banc du boulevard. Je ne l’avais pas vu ; j’étais dans mon bureau en train d’écrire, dans ma tanière pleine de livres, de papiers et d’ordinateurs ; en allant chercher un livre dans une autre bibliothèque de ma chambre, regardant par la fenêtre, je l’ai aperçu sans bien comprendre ce qu’il faisait là. En l’observant quelques instants, j’ai vite compris : il écrivait.
Il s’était installé un petit secrétaire de fortune, à l’aide d’une chaise trouvé probablement dans les poubelles aux alentours. Il y avait posé une feuille blanche et s’était mis à écrire ; il s’était mis à écrire comme l’écrivain public il y a deux siècles l’avait fait aussi au même endroit ou presque. L’écrivain public du XVIIIe siècle aidait les parisiens à se débrouiller dans la bureaucratie naissante, ou parfois mettait noir sur blanc les suppliques des hommes et des femmes de la rue pour le Roi. L’écrivain du boulevard rédigeait-il une lettre au Président de la République pour lui dire tout le mal qu’il pensait de l‘organisation du monde d’aujourd’hui ? Protestait-il comme les manifestants qui envahiraient le boulevard le lendemain ? Ou bien était-il semblable à cet autre individu que j’ai croisé des années durant deux fois par semaine dans un parc du sud de Paris ? Cet autre écrivain recouvrait à l’aide d’un stylo bic pendant des heures des centaines de pages d’une écriture, rédigeant le grand livre de notre misère.
J’observai encore un long moment l’homme du boulevard ; il levait la tête, inscrivait quelques mots, sans prêter attention au bus qui passait à quelques centimètres de lui, sans voir les passants, comme si l’écriture formait comme une carapace contre la dureté de la vie, comme si c’était un écrivain fantôme, écrivain invisible de ce que nous sommes.