ISSN : 2266-6060

Transporté(e)

transporte

Roanne, mars 2012.

Une feuille cartonnée, une fine couche d’encre imprimée pour figurer des noms, des lieux, des dates, des horaires, des codes, un prix. Le tour est joué : voici un titre de transport permettant de circuler d’un lieu à un autre. On le conserve pendant le déplacement pour justifier auprès du contrôleur que nous sommes en règle. Parfois au-delà pour se faire rembourser un voyage professionnel. Celui-ci, je le garderai bien plus longtemps ; je le laisserai vieillir comme une trace indélébile qui s’efface très lentement, tant le voyage que j’ai effectué avec déborde de toutes parts le cadrage des interactions qu’il réalise habituellement. Pendant mon trajet, je ne me suis pas seulement déplacé d’une ville à une autre. J’ai aussi voyagé dans le temps, repensant à de nombreux événements enfouis dans ma mémoire d’enfant, d’adolescent, puis d’adulte passé à tes côtés. J’ai souri, parfois même était envahi d’une grande joie à revivre, seul et concentré, ces différents moments, jusqu’à ce que le train arrive à destination. Là, c’est un autre voyage qui m’attendait, relayé par d’autres inscriptions : un voyage au sein des relations familiales, émaillées de leurs événements inoubliables, compliquées par des soucis, tiraillées par des conflits, déchirées par des ruptures, brisées par des disparitions soudaines… Le billet de train a laissé la place aux pages blanches d’un beau registre relié, que les proches remplissaient de mots affectueux et de douces pensées. Il a aussi laissé la place à ton nom propre, inscrit sur un panneau qui indiquait le salon où on pouvait te rendre une ultime visite. Ces écrits accompagnaient un voyage dans les liens qui se font et se défont au fil du temps, au cœur d’une scansion d’épisodes marquants qui bouleversent à jamais l’histoire d’une famille. Un voyage dans les lègues du passé, avec lesquels on apprend à vivre, parce qu’ils resurgissent régulièrement dans le présent. Ce jour-là, avec beaucoup d’autres, je suis venu t’accompagner, ma chère mamie, dans ton dernier voyage, dire combien ta générosité et ton attention de tous les instants nous manqueront, écouter mon cousin surmonter sa tristesse pour te rendre publiquement un hommage inoubliable, prendre acte de ton absence ici et de tes futurs modes de présence ailleurs et autrement. Puis, une autre inscription a fait son apparition : une plaque métallique gravée, portant ton nom et tes dates de naissance et de décès, rivetée à ton magnifique vaisseau en bois. Je l’ai fixé, comme pour me convaincre de ce qui était arrivé. Durant ce voyage, je t’ai accompagné jusqu’à une dernière inscription qui, celle-ci, était tout à la fois familière et étrangère. Familière, parce que j’ai déjà rencontré plusieurs fois cette inscription épigraphique aux lettres dorées dans le marbre. Étrangère, car mes yeux ne s’étaient pas posés sur cette pierre tombale depuis plus de trente ans… J’ai lu et relu cette inscription, puis je l’ai scruté à nouveau à plusieurs reprises, pour la graver plus intensément dans ma mémoire. Enfin, je me suis approché de la fosse, pour te regarder une dernière fois, pour m’assurer que tu reposes en paix à côté de ton fils ainé.



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