Tri sélectif
Sainte-Marie de Ré, aout 2011.
Comme de nombreux autres objets, les poubelles sont dotées de parole depuis un certain temps déjà. Certaines sont simplement étiquetées “poubelle”, alors que d’autres sont conçues pour “recycler”. Diverses catégories peuvent coexister : certaines indiquent “canettes en aluminium”, alors que d’autres disent “verre”, “bouteilles en plastique”, ou “papier seulement”. Aussi banales soient-elles, les poubelles contribuent à ordonner le monde en triant les choses à l’aide de catégories et de divers réseaux de circulation pour différentes sortes de biens. Mais il arrive parfois qu’elles fassent davantage.
Face à cette grande quantité de déchets dans une poubelle indiquant “verre”, et rien du tout dans l’autre étiquetée “journaux, magazines”, le passant peut être conduit à plusieurs interprétations. Il peut non seulement lire les indications pour choisir le bon container, mais aussi inférer le comportement des habitants. Il n’y a pas de doute, dans ce quartier les gens ont un penchant pour l’alcool. Et cette interprétation peut être vérifiée. Dans un autre quartier, la poubelle dédiée au “verre” est vide, alors que celle pour les “journaux, magazines” est pleine. Ici aussi, il n’y a pas de doute: les gens qui habitent là sont des lettrés grand consommateurs d’objets écrits.
Les poubelles peuvent servir d’indicateurs fiables de différentes pratiques, elles peuvent aider à identifier des “régions morales” – où certains comportements (déviants) sont tolérés et d’autres exclus – chères à Robert Ezra Park, un pionnier de l’écologie humaine et de la sociologie urbaine. Mais depuis quand la lecture et l’écriture sont-elles incompatibles avec la boisson ? On peut tenir un raisonnement totalement inverse : la poubelle pleine de papier signifie que les habitants sont des illettrés qui jettent leurs journaux sans les lire, alors que celle pleine de bouteilles indique que les gens qui habitent ici sont des lettrés enclins à l’ivresse des histoires (ils lisent et archivent soigneusement leurs journaux chez eux, et ne jettent que leurs bouteilles vides).