Unités

New York, mars 2014.

Le monde dans lequel nous vivons semble largement nourri de la fusion toujours plus forte entre la mesure, le calcul et l’anticipation. Le rôle que jouent les index et les scores dans les secteurs de l’assurance, de la banque, de la Bourse, mais aussi dans les sciences et pour les États eux-mêmes, témoignent de cette tendance qui date probablement d’avant la seconde guerre mondiale. Nos vies ordinaires n’y échappent pas. Un grand nombre de choses font aujourd’hui l’objet de mesures et de calculs qui sont mis à notre disposition pour améliorer notre capacité à anticiper. C’est un aspect important de la dite société de l’information, qui n’installe pas seulement une gouvernementalité algorithmique, mais repose aussi sur l’affichage de certains ses résultats. Une sorte de politique du “maintenant-que-vous-connaissez-les-chiffres-vous-pouvez-agir-rationnellement”.
Mais tous ces dispositifs qui nous abreuvent d’informations se valent-ils ? Toutes les mesures performent-elles la même réalité, les mêmes citoyens informés ? Sans doute pas. C’est en tout cas ce que l’on peut éprouver en jetant un œil aux panneaux numériques qui peuplent certains quais du métro new-yorkais. Comme à Paris, ces panneaux informent de l’état du prochain train. Mais plutôt que de donner une durée — résultat fragile d’un calcul qui produit une anticipation rarement satisfaisante — les écrans de New York apport un autre genre de donnée : l’emplacement actuel du train. À deux stations, à une station d’ici. Avec cet outil, l’anticipation est allégée et l’information affichée semble juste. Sa promesse n’apparaît pas démesurée. Dans ce contexte, cela suffit certainement. Cette donnée nous convient. Et, tout en restant informé, nous sommes ravis d’échapper pour une fois à la version quantifiée de la réalité. Qui sait, peut-être arrivera-t-on à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Peut-être trouvera-t-on finalement une place pour de nouvelles unités de ce genre dans le monde toujours plus transparent qui se déploie sous nos yeux.