Voyage sacré

Caen, novembre 2010

Elle sait lire depuis 8 ans à peine, elle aime lire au point de s’interdire parfois l’entrée dans une librairie « pour ne pas nuire à son travail scolaire », elle dévore les bouquins comme elle mange un pot de Nutella ou un paquet de chips, elle adore lire comme poster sur Facebook.
Ce jour-là, le père les a emmenées avant de rentrer à Paris visiter l’abbaye. Ils revenaient du Mont-Saint-Michel, c’était bien normal ; un voyage doit être cohérent ; cette fois, elles avaient échappé aux plages du débarquement et au Mémorial de Caen, le thème retenu était le patrimoine religieux… vieilles pierres, enluminures et fromages. Du Scriptorium d’Avranches à l’abbatiale de l’abbaye d’Ardenne, il n’y avait qu’un trait. Elles avaient marché. Mais voilà, en entrant dans l’église, elle vit tout de suite qu’il y avait un truc qui clochait. Leur père les prenait-elles pour des cruches ! L’autel avait disparu, les crucifix aussi, ça ne sentait plus l’encens, il faisait chaud… à la place des bancs et du statuaire, il y avait des livres, des centaines de livres, des milliers sans doute. Quand ils descendirent à la crypte, les attendaient non pas les restes d’une sainte mais des magasins remplis d’archives.
Remontée à la surface, elle comprit qu’on n’était pas entrée dans un nouveau monde, que son goût des livres n’était pas comme celui qu’elle avait pour le Chili con Carne, qu’en lisant elle s’inscrivait dans une histoire, celle de l’écrit, celle des bibliothèques. Il lui restait à lire Roger Chartier.